Intelligence artificielle, robotisation, économie de la connaissance, grande démission : ces grands oubliés du débat sur les retraites

Les gens protestent contre la réforme des retraites du gouvernement. De nombreux sujets majeurs restent non résolus dans le débat sur les retraites.

Atlantico : Est-ce l’intelligence artificielle, la robotique, l’économie de la connaissance, la grande retraite, dans quelle mesure les scénarios COR sur le bilan du système de retraite ignorent les grandes mutations de la société française ?

Laurent Alexandre : Les scénarios développés par COR, par définition, ne seront pas mis en œuvre. Ils n’intègrent pas les changements technologiques radicaux, les implications de l’intelligence artificielle et de la robotique pour l’économie. Ils n’incluent pas les changements structurels de l’économie associés à ces événements. Ce sont des scénarios intéressants pour la gestion macroéconomique à court terme, mais ils ne sont pas prévisibles à moyen terme.

Pierre Bentata : Les rapports COR sont bien faits, souvent mal interprétés ou mal compris. Mais toute la complexité de toute prévision est qu’elle est limitée par le niveau de connaissance à un certain moment, ce qui oblige à une analyse statique. Ainsi, le COR a des considérations globales dans lesquelles nous ne pouvons pas intégrer de grands changements structurels dont nous ne connaissons pas avec certitude les conséquences. La technologie affectera nos opérations et notre organisation de deux manières : en modifiant notre façon de travailler, ce qui affectera l’emploi, la productivité, la concurrence entre les travailleurs et donc, in fine, les salaires. Mais le deuxième impact, c’est aussi l’allongement de l’espérance de vie que va créer la technologie, ce qui a forcément un impact quand on parle de retraites. Le cœur des nouvelles technologies n’a pas bougé : nanotechnologies, biotechnologies, informatique et sciences cognitives. Il rivalise avec les individus dans leur capacité à accomplir des tâches complexes. Et si nous ne pouvons pas l’intégrer tel quel dans nos scénarios, il faudrait l’intégrer dans la réflexion sur le système de financement des retraites. Dix années supplémentaires d’espérance de vie, rien que cela, rendraient notre système de retraite complètement insoutenable dans tous les scénarios de COR possibles. Ce n’est même pas une question de 64 ou 67 ans. D’autant plus que chaque évolution technique majeure s’accompagne d’une baisse démographique.

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Peut-on estimer et quantifier les implications de ces changements pour l’économie française ?

Laurent Alexandre : Non, car c’est impossible. En matière d’intelligence artificielle, nous n’avons jamais prédit l’hiver et le printemps de l’IA. Après le film, nous étions très optimistes 2001, une odyssée de l’espace, nous avons cru en une intelligence artificielle puissante pour l’horizon 2000. Et il ne s’est rien passé. En revanche, lorsque le deep learning appliqué à l’analyse d’images s’est développé, plus personne n’y croyait, mais l’augmentation de la taille des jeux de données a permis des progrès inattendus en 2011. De même, nous n’avons pas vu de saut dans les grands modèles de langage, LLM. Le chat GPT 2 était mauvais, le 3 que nous avons maintenant est exceptionnel. Fait des erreurs biographiques, n’est pas très bon en mathématiques, invente des éléments, etc. Mais c’est toujours incroyable. Mais il est impossible de prédire les chocs d’innovation technologique sur les systèmes de retraite, car nous ne pouvons pas prédire quand les chocs technologiques se produiront. Par exemple, il est impossible de dire si ChatGPT va croître de manière significative ou non.

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Au-delà de l’IA, la robotique est anecdotique. Il progresse lentement car il nécessite beaucoup de métaux rares et vous ne pouvez pas concevoir des robots du jour au lendemain, contrairement à l’IA. L’inertie des développements robotiques est énorme. On peut donc douter d’une robotisation à grande échelle dans les années à venir. En revanche, une automatisation partielle du tertiaire grâce à l’intelligence artificielle est beaucoup plus plausible. Les métiers sont en plein bouleversement, et le journalisme ne sera pas épargné. ChatGPT peut déjà écrire des articles moyens en un temps record. Buzzfeed a déjà annoncé qu’il utilisera cette IA pour créer du contenu.

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Pierre Bentata : C’est difficile à quantifier, mais nous connaissons les tendances. Notre analyse des innovations précédentes nous montre des scénarios défavorables pour nous. On sait qu’à moyen terme, le développement technologique crée des emplois et en crée plus qu’il n’en détruit. Ils modifient la structure des emplois, qui deviennent moins exigeants, plus qualifiés et moins rémunérés. Et ceux qui n’acceptent pas ces évolutions se retrouvent dans des emplois officiels, mais ils ne sont pas moins payés qu’avant. Par contre, il y a toujours une période de friction. Lorsque les machines remplacent soudainement des occupations jugées indispensables, cela rend certains travailleurs “obsolètes”. Cela dure dix ans, pendant lesquels il y a de vraies pertes. Des études telles que « The Future of Employment » de Carl Benedict Frey et Michael Osborne ou « 4mille The Industrial Revolution and the Future of Jobs de Nick van Dam a analysé ces phénomènes. Le nombre d’emplois augmente toujours, et la population bénéficie d’un enrichissement général, mais cela ne se fait pas immédiatement. Et quand cela arrivera, cela créera de vrais problèmes.

Pour autant que je sache, nous n’avons pas d’évaluation d’impact de l’économie de la connaissance en tant que telle ou des développements techniques majeurs. En revanche, il est certain que si les décideurs étaient opportunistes, ils auraient un argument supplémentaire pour une action de capitalisation, puisqu’il y a risque d’effets négatifs sur la répartition, mais enrichissement des entreprises pionnières. Ils pourraient utiliser la vague.

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Quant à la grande démission, on ne la sent pas encore dans les données. Nous ne voyons pas émerger un système alternatif. Le principal problème est que le sens est dans le travail, et la technologie va encore le renforcer. Et il en sera de même avec l’éducation. Chat GPT peut déjà faire un travail impressionnant et de nombreux emplois qualifiés seront remplacés ou nécessiteront plus de compétences. Le sentiment de compétition avec la machine renforce la perte de sens. Le problème avec les nouvelles technologies, c’est qu’on ne sait jamais quel impact elles auront. TikTok devient peu à peu un concurrent de Google, auquel personne ne pensait. Pour éviter de se sentir esclaves de la machine, les décideurs doivent être proactifs.

Michel Ruimi : La quatrième révolution industrielle, associée à l’introduction de nouvelles technologies, nécessite une main-d’œuvre possédant un large éventail de connaissances/compétences approfondies qui peuvent facilement saisir de nouveaux emplois. En ce qui concerne l’impact de l’automatisation sur l’emploi et les progrès étonnants de la robotique et de l’intelligence artificielle…, les recherches existantes montrent qu’elles contribuent aux inégalités et ont déjà d’énormes implications pour l’éducation : de nombreux enfants qui entrent maintenant à l’école primaire pourraient travailler n’existe pas aujourd’hui. Cela alimente les inquiétudes quant à un avenir sans emploi (les participants qui n’ont pas le capital humain nécessaire verront leur intégration sur le marché du travail s’affaiblir à long terme).

Au cours de la dernière décennie, le parc mondial de robots industriels a doublé, avec environ 150 robots pour 10 000 travailleurs en France, un peu moins de 350 en Allemagne et près de 830 à Singapour. quatre dans le monde d’ici 2030 ! Quant à l’intelligence artificielle (IA), ses principales conséquences attendues ne sont pas la destruction d’emplois, mais la réorganisation du travail que devrait entraîner la diffusion de la technologie. Selon l’OCDE, environ un quart des emplois seront concernés par cette redistribution des tâches. Il y a dix ans aux États-Unis, une étude examinant l’impact attendu d’une plus grande informatisation professionnelle sur les résultats du marché du travail a conclu qu’un peu moins de 50 % de l’emploi total aux États-Unis, en particulier les travailleurs des secteurs du transport et de la logistique, ainsi que la plupart des employés de bureau travailleurs travailleurs, appartenaient à la catégorie à haut risque (emplois susceptibles d’être automatisés assez rapidement, voire dans les prochaines décennies). Le risque d’assister à une carrière précaire doit inciter à réfléchir à une protection sociale adaptée au nouveau modèle promu par le numérique.

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Alors, dans le grand débat sur l’équilibre des systèmes de retraite, faut-il taxer correctement les travailleurs pour préserver nos retraites ? En d’autres termes, si les robots prennent nos emplois, les contributions prélevées sur les salaires doivent-elles être prélevées sur les machines ? L’idée qui a alimenté la campagne présidentielle de 2017. Si les emplois remplacent les humains dans le contexte du travail, il pourrait y avoir une baisse progressive des cotisations sociales liées au travail, ce qui pourrait affecter le financement des retraites. Mais pour que les emplois contribuent à notre retraite, il faut des prélèvements pour les cotisations sociales, mais surtout, il faut leur verser un “salaire” sur lequel ces cotisations s’appliqueront.

Des questions éthiques et juridiques peuvent se poser lorsque l’on considère l’équivalence entre le coût d’utilisation d’un robot et le coût de la main-d’œuvre traditionnelle. Il y a quelque chose de troublant à comparer un robot à un humain. De plus, pour attribuer un salaire, même fictif, à un robot, il faut lui accorder le statut de personne morale. Enfin, le système intergénérationnel actuel est basé sur la solidarité : les actifs cotisent pour la retraite des personnes âgées. Qu’en est-il d’un système où un humain est remplacé par une machine ? Les robots sont “vendus pour la ferraille” et ils ne reçoivent pas de pension. Mais il n’en demeure pas moins que si les gains de productivité rendus possibles par les robots élargissent leur utilisation, on trouvera une circulation supplémentaire dans les recettes fiscales, et il sera toujours temps d’en transférer une partie aux fonds de pension.

Comment aborder ce sujet et ces changements dans notre réflexion sur les retraites ?

Laurent Alexandre : Nous devrions intégrer plus d’éléments technologiques dans le scénario COR, même si c’est difficile…

Mais la réflexion technologique ne doit pas s’arrêter à déterminer le futur déficit des retraites, il faut aussi préparer tous les changements nécessaires. L’entreprise, l’école et l’hôpital doivent se préparer !

Pierre Bentata : Nous faisons ce que nous faisons lorsque nous rencontrons des systèmes complexes. Lorsqu’un système évolue à travers des mutations endogènes, qui dépendent elles-mêmes de l’évolution du système, il est impossible de prédire exactement ce qui va se passer, mais on peut penser aux principales tendances et risques : augmentation de l’espérance de vie, remplacement de certains emplois, etc. On ne peut pas tout prévoir, mais on peut y penser pour être plus pérenne et permettre au système de continuer à fonctionner.



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