
Le développement de la Chine
Lors de la visite, en novembre 2022, Rémy Rioux, le responsable de l’Agence française de développement, l’agence d’aide aux armées de la France, était très heureux, voyant ces nouvelles machines affluer dans cette zone industrielle insolite. “C’est très impressionnant”, a-t-il dit, en adressant un message aux entreprises françaises : “Il est temps d’investir”. Vœu pieux. Car la France donne l’idée de perdre sa place en Afrique. En vingt ans, la baisse de ses parts de marché – surtout dans ses anciennes places où elle était en pleine forme – est grande.
Entre 2002 et 2021, il a perdu 14 points au Sénégal, 10 points en Côte d’Ivoire et au Maroc, fiefs historiques des entreprises françaises. Sur l’ensemble du continent, ils ont vu leur part de marché passer de 10,6 à 4,4 %. La chute qui a profité aux nouveaux lauréats : « La progression de la Chine est fulgurante. Elle a presque doublé sa part de marché en deux décennies, notent Aroni Chaudhuri et Dominique Fruchter, économistes chez Coface. La croissance de l’Inde est aussi très impressionnante, notamment dans la santé, et celle de la Turquie en matériaux de construction et de ménage. »
La géographie de la victoire. Cette carte montre la progression des nouveaux conquérants en Afrique, économiquement et militairement, avec la multiplication des bases. Le succès des Chinois est énorme, surtout dans le commerce. Certains pays sont régionaux (Inde, Turquie) ou zones de guerre (Russie).
Ces experts continentaux constatent « la baisse des parts de marché de la France dans tous les secteurs, sauf l’aéronautique ». La Bérézina commerciale est garantie en investissement, là où la France a été remplacée par la Chine. Alors comment expliquer une telle gifle ? Comme au Bénin, nos entreprises manquent souvent de stabilité, dans une région promise à une forte croissance, ce qui donne l’impression de se reposer sur leurs ressources.
Les États-Unis vous font rêver grand
“Je ne comprends pas pourquoi il n’y a pas plus d’opérateurs français qui vont en Afrique”, s’interroge Eric Duval, fondateur du groupe du même nom (1 milliard d’euros) qui met le paquet en Afrique. Dans la promotion immobilière, l’exploitation de golfs ou la microfinance, cette entreprise familiale enregistre une “croissance à deux chiffres”, jusqu’à 30% dans certains secteurs. Car l’augmentation moyenne du PIB, déjà très respectable dans les pays africains, cache la croissance des grandes villes – comme Abidjan en Côte d’Ivoire, où Duval a récemment construit une tour – qui est souvent deux fois plus forte.
Pas courageux et pas trop arrogant. “Certains diplomates et chefs d’entreprise français font encore preuve d’une certaine complaisance, critiquant le coordinateur Dogad Dogoui, qui organise de nombreux forums d’affaires. Ce manque de respect n’est plus soutenu par une grande partie de l’élite africaine.” Les élites sont de plus en plus intimidées par les refus de visas sur le territoire français. “Ils vont à Paris mais ils n’y habitent plus”, a ajouté Dogoui. Aujourd’hui, ce n’est plus la France mais l’Amérique qui fait rêver les élites africaines, selon le dernier baromètre du Conseil français des investisseurs en Afrique. Et Washington a récemment lancé une offensive de charme, avec la conférence Afrique-Etats-Unis en décembre dernier, conduite par Joe Biden, qui a envoyé 55 milliards de dollars d’aides nouvelles.
Opération Barkhane
La destruction de la réputation de la France a atteint son paroxysme au Sahel, où les résultats de l’opération Barkhane se sont révélés désastreux. Après un déploiement massif et la mort de 58 de nos soldats, la France a été chassée du Mali. Et le Burkina Faso voisin a récemment informé Paris de la fin du cessez-le-feu et de l’expulsion de 400 membres de ses forces spéciales. Le rejet profite à la Russie, encore modeste dans ses échanges mais implantée militairement au Sahel et en République centrafricaine. Afro-optimistes, malgré tout.
Face à ce rejet de l’ancienne puissance coloniale, notamment par les jeunes Africains, certains managers français veulent encore y croire. “Ce qui se passe dans deux pays du Sahel ne doit pas nous empêcher d’investir en Afrique”, a déclaré Momar Nguer, président du Comité Afrique du Medef et l’un des dirigeants de Total Energies, qui prendra la direction au Maroc. cette année.
Emmanuel Macron, Université de Ouagadougou (Burkina Faso), 2017. Le président français rêvait de parler business plutôt que politique avec le continent. Il devait devenir le commandant de la guerre contre les djihadistes, à l’époque l’armée russe.
fausses nouvelles
Ce rejet de la France est soupçonné d’être, en fait, principalement motivé par de fausses nouvelles, relate Lionel Zinsou, patron de la banque d’investissement Southbridge. Et, de plus en plus, les intérêts des Français ne se situent pas dans ce qu’on appelle l’arrière-pays mais en Égypte, au Nigéria et en Afrique du Sud, où se concentrent les investissements étrangers. Afrique francophone Dans cette nouvelle guerre en Afrique, jusqu’à présent l’idée de partir en guerre avec un boulet et une chaîne à ses pieds.
“Les Européens n’ont pas le courage”, Etienne Giros, président du Cian, le Conseil français pour les investisseurs en Afrique
Défis. Comment expliquez-vous le succès des Chinois, des Indiens ou des Turcs, qui menaçaient les positions de la France ?
Étienne Giros. L’Afrique est entrée dans le monde. Le marché est devenu plus ouvert, mais sa taille a augmenté de manière significative. Ces nouveaux acteurs ont percé en vendant des produits à bas prix. Elles sont aussi plus rapides que les entreprises occidentales, qui souffrent des difficultés de leurs sponsors.
Sont-ils agressifs ?
Oui. Ils veulent conquérir les marchés alors que les Européens montrent quelques réticences. La perception du danger est souvent élevée. Le marché étant encore très restreint, certains groupes préfèrent investir dans d’autres régions du monde. Vous n’aimez pas non plus la “concurrence déloyale” de ces pays… Oui, les entreprises européennes doivent se conformer à des lois de conformité strictes telles que la lutte contre la corruption.
Ce n’est pas le cas de beaucoup de ces concurrents. Et je n’ai jamais vu une ONG attaquer une entreprise chinoise. Les entreprises françaises ont-elles encore des actifs ?
Absolument. Tout d’abord, nous sommes très présents sur place. Notre stock d’argent collecté en Afrique est bien supérieur à celui de ces nouveaux acteurs. Nous restons en bonne forme dans des domaines tels que les communications et la distribution. En fait, les entreprises françaises doivent reprendre des forces sur ce continent, qui est celui qui grandira demain.
Entretien TF
Par Thierry Fabre (envoyé spécial au Bénin)